Ferrucio Busoni fut compositeur, professeur, pianiste. Mais, faute d’avoir été célèbre dans l’un de ces trois registres, il fut trois fois méconnu. Trop de dons étouffe. Au total, une figure inclassable, une œuvre ambiguë et inachevée. Un jour, George Bernard Shaw lui écrivit : « Vous devriez composer sous un pseudonyme. Quand je vous ai entendu jouer, je me suis dit : impossible qu’il soit compositeur, il n’y a pas de place dans la vie pour plus d’une excellence. » Cette féconde contradiction se retrouve dans toute l’œuvre pianistique de Busoni, au sein de laquelle, même si cette distinction fait problème, ou peut distinguer les compositions pour le piano et les interprétations au piano. D’un côté, on écoute un compositeur, et soudain on découvre quelqu’un qui improvise au clavier, se laissant guider par ses associations sonores. De l’autre côté, ses interprétations des grandes œuvres du répertoire étaient rien moins que littérales. Trop compositeur pour n’être qu’un interprète, Busoni réussit où échoue un Glenn Gould à l’époque moderne : accomplir une œuvre durable, vaste et architecturée. Trop pianiste pour n’être qu’un compositeur, il dépasse les limites d’un Krenek ou même d’un Schoenberg par le savoir sonore immédiat qui donne sa chair à la formule compositionnelle. Il écoute, sans s’y perdre, ce que lui disent ses doigts.
Il fut donc l’une et l’autre des figures entre lesquelles la musique était divisée depuis deux siècles, et les incarna à l’excellence.
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